Fatigue mentale après deux ans de crise sanitaire, collectifs éparpillés, stress du travail et du mandat avec de multiples tâches... : vivement les vacances pour les représentants du personnel comme pour les salariés ! Quels conseils suivre pour profiter au mieux de la pause estivale ? Et que faire pour une rentrée réussie dans les CSE ? Voici les réponses d'Anne-Charlotte Dupond, psychologue du travail qui exerce en libéral à Lannion, où elle reçoit dans son cabinet de nombreux salariés.
Oui, mercredi soir de la semaine prochaine, et je vais tout couper après ! Je vais arrêter mon téléphone professionnel et ranger au placard "ma caisse travail". Seule exception que je m'autorise en tant que psychologue du travail : je regarderai mes SMS une fois par semaine pour certains patients que je sais être en situation difficile (1). Et une semaine avant de reprendre, je réactiverai doucement mon activité.
Souvent dans mon cabinet, j'entends des cadres me dire qu'ils partent en congés mais avec leur ordinateur et leur portable pour "rester joignable". Je leur rappelle alors l'éthymologie de "vacances". Ce mot a la même racine que "vacuité", il signifie : ce qui est vacant, vide, inoccupé.

Et je leur lis aussi la définition du mot congés : c'est "la permission pour quelqu'un de s'éloigner d'une personne ou d'un lieu auquel on est lié par des obligations" (2). Autrement dit, il faut "couper" pendant ses vacances. Pour cela, c'est bien de se demander, dix jours ou une semaine avant son départ du travail, ce qui va faire que je vais pouvoir partir avec l'esprit dégagé, en ayant préparé deux à trois choses pour mon retour professionnel. Car les vacances, ça se prépare et ça se vit, mais le retour des vacances se prépare également. C'est en effet compliqué de "couper" complètement avec le travail en partant la tête pleine.
Bien sûr, tout cela est un peu théorique, mais c'est quand même bien de se demander ce qui peut ou pas attendre mon retour. C'est bien de se dire : "Mais je ne suis pas tout seul au travail !". Quant à certains cadres de haut niveau qui ne peuvent pas se permettre d'être totalement déconnectés, je leur conseille néanmoins de se fixer des règles pour éviter de transformer leurs vacances entières en période d'astreinte, par exemple en se donnant une durée limitée de connexion par jour, type une heure quotidienne, en respectant cette limite. La règle générale, c'est d'éviter de prendre son ordinateur et son mobile professionnels, ou bien alors de les ranger sans y toucher. Si vous avez vos mails et messages professionnels sur votre téléphone personnel, je conseille de désactiver les notifications pour la période des vacances.
Bien sûr, d'autant plus qu'ils ont des responsabilités de soutien vis-à-vis des salariés qu'ils représentent et qu'ils assistent. Une patiente me racontait l'autre jour que dans son entreprise, les élus CSE se sont organisés pour qu'il y toujours parmi eux quelqu'un de disponible pendant l'été, par roulement, pour justement éviter qu'un élu soit sollicité alors qu'il est en vacances.

Cela me paraît être une très bonne initiative. Chez les représentants du personnel, il y a une dimension militante qui peut rendre encore plus difficile la déconnexion. Or les vacances, ce n'est pas seulement se mettre du sable entre les doigts de pied, c'est donner à son corps et à son exprit le repos dont ils ont besoin, ce qui ne sera pas le cas si les notifications professionnelles continuent de vous envahir. Faire cette coupure permet de revenir en meilleure forme.
J'ai observé que trois semaines semblaient constituer une durée idéale. La première semaine, on est encore dans la déconnexion, dans la fatigue accumulée, dans la mise à distance; la deuxième semaine, ça va mieux et la troisième semaine, on en profite vraiment, pour faire des choses sympas, pour partir en famille ou avec des amis, voyager, etc. Les vacances servent aussi à profiter de la vie !

Si vous ne prenez qu'une semaine ou seulement dix jours, vous risquez soit d'être trop faigués pour en profiter, soit vouloir quand même faire des tas d'activités au risque de vous épuiser. Vouloir "optimiser" l'investissement d'une location, c'est terrible ! Il ne faut pas que "réussir ses vacances" devienne une injonction impossible à satisfaire. Ne pas remplir son emploi du temps des vacances, c'est se laisser la possibilité d'être surpris. Passer des vacances réussies, c'est, je pense, s'autoriser à s'écouter, à accepter de ne rien faire certains jours, de laisser place à l'imprévu, de buller en écoutant de la musique, de regarder les oiseaux, bouquiner, rester au bord d'une piscine. Et riez si vous pouvez rire ! L'éloge de la paresse, en somme ! (3)
En effet, nous vivons dans une société de l'injonction. Au boulot, il faut être organisé et performant. Sur son temps personnel, il faut faire des activités jugées "intéressantes" mais aussi gérer son temps de façon efficace. Et pendant les vacances, il faut absolument "faire des trucs", avoir des vacances "instagramables".

Mais réussir ses vacances, cela n'a pas le même sens pour tout le monde. Et cela commence par réussir son repos, car sinon vous perdrez tout le bénéfice des vacances dès la fin septembre. Car le mois de septembre, avec la reprise du travail pour les adultes et les parents, et la reprise de l'école et des activités pour les enfants, cela ressemble souvent à une course contre la montre pour organiser au mieux l'année à venir.
Comment éviter ce côté "tunnel" de septembre ?
Avant son départ en congé, comme je le disais, il peut être utile de poser quelques jalons pour son retour, d'anticiper certaines choses. Bien sûr, quand vous êtes sur un travail posté dans une usine ou dans des tâches assignées, vous savez ce qui vous attend le lundi. Mais si vous avez un travail avec davantage d'autonomie, quelques jours avant la rentrée, cela peut être bénéfique de se projeter, de regarder l'agenda prévu, de prévoir par exemple de réserver sa matinée pour ne répondre à aucun courrier afin de garder du temps pour voir ce qui s'est passé en son absence, de faire le tour de ses collègues, etc.

Le jour du retour au bureau, la première chose à faire n'est pas nécessaire de vider sa boite mail en épluchant tous ses messages car vous risquez de passer à côté de choses importantes. Il y a tant de mails envoyés pour un oui ou pour un non, de messages qualifiés d'urgent alors qu'ils ne le sont pas ! Et le pire du pire, c'est la grande réunion organisée pour tous le jour de la reprise.
Même chose ! Si un élu a été présent pendant l'été, il faut faire le lien avec cette personne pour faire un point ensemble, voir comme le relais a été pris sur tel ou tel dossier, et envisager la suite: réunions déjà prévues, consultations, etc.

Il faut aussi, dans tous les cas, renouer le contact avec les salariés, voir ce qui s'est passé dans l'entreprise, mais cela fait partie de leur mandat, les élus le font spontanément me semble-t-il. Et particulièrement le jour de la reprise, le côté informel de ces contacts est très important : prendre un café ou déjeuner avec ses collègues, c'est un temps d'échanges très riche.
La reprise en télétravail, ce n'est pas terrible ! Mais l'informel est aussi possible à distance : appelez-vous, faites des teams, échangez sur un groupe whatsap, faites une pause ensemble, etc.
(1) Anne-Charlotte Dupond exerce à Lannion (Côtes-d'Armor). Les patients qu'elle reçoit, notamment des métiers hospitaliers mais aussi de certaines entreprises, la conduisent à être inquiète sur la dégradation de la santé au travail : "La reprise après le confinement et la crise Covid ne me paraît pas du tout avoir été faite dans de bonnes conditions dans les entreprises, et je vois seulement maintenant dans mon cabinet des personnes qui n'allaient pas bien au sortir de cette crise sanitaire et qui ne s'autorisent que maintenant à dire qu'elles ne vont pas bien". Voir ici son site où elle donne informations et conseils, et notre interview au moment de la crise sanitaire, en décembre 2020.
(2) Définition donnée par le CNRTL, le centre national de ressources textuelles et lexicales. Voir ce site du CNRS ici.
(3) Le droit à la paresse est le titre d'un livre de Paul Lafargue paru en 1880.